Au-delà des économies qu'elle génère, la VoIP constitue surtout le moyen de mettre en place des applications couplant informatique et téléphonie.
Vous êtes bien au 26 rue d'Oradour-sur-Glane ? » L'appel sur le 15 du service d'urgence de l'hôpital d'Arras enclenche automatiquement l'affichage de l'adresse de l'appelant sur le PC de l'opérateur. Les secours vont partir dans quelques minutes. Voici un exemple de fonction de CTI (couplage téléphonie-informatique) rendue possible par la mise en oeuvre de la voix sur IP.

Si cette technologie ouvre la voie à de multiples applications mixant téléphonie et applications informatiques, c'est pourtant rarement la motivation première des entreprises migrant vers cette technologie. Le déclic est d'abord financier. « Le passage à la VoIP permet d'économiser au moins un tiers sur les coûts des appels, en particulier si l'entreprise est multisite. Ce passage peut être amorti à partir de quatre à cinq postes, en fonction de l'activité », confirme Daniel Vassallucci, responsable du développement pour le réseau de franchisés de NTIC Services.

Mais une fois la bascule sur IP effectuée, « les besoins apparaissent au bout de quelques mois et débouchent sur des applications intégrant la voix et les données informatiques », insiste Daniel Vassallucci. Parmi les applications de CTI les plus simples figurent la remontée de fiches clients ou la composition automatique d'un numéro de téléphone à partir d'une application informatique, le « clic to dial », une fonction le plus souvent disponible à travers un client de messagerie. Certaines entreprises mettent peu à peu en oeuvre des applications de CTI s'interfaçant plus avant à leurs bases de données et à leurs applications métier. Attention toutefois à vérifier les possibilités de chaque PABX, plus précisément les couches logicielles disponibles pour le CTI.

L'utilisation : des clients mieux suivis

Fondateur et dirigeant du cabinet de ressources humaines du même nom, Florian Mantione est devenu un utilisateur d'applications de CTI. « Nos consultants doivent mettre en relation les CV et les demandes des clients. Ce qui suppose de nombreux échanges téléphoniques. L'application de remontée de fiches aiguille directement le candidat vers le bon consultant. » Fournissant une infrastructure globale (services généraux, informatique et téléphonie) à la dizaine d'entreprises qu'elle héberge à Marcq-en-Baroeul (59), la Cité des entreprises utilise également le CTI pour personnaliser l'accueil téléphonique. « La fonction de standard téléphonique est plus facile à prendre en main qu'avec des solutions classiques. Intégrée en standard dans notre PABX IP, installé par Mitel, la remontée de fiches s'active aisément » , indique Olivier Pluchard, responsable télécoms de la Cité.

La mairie de Saintes, en Charente-Maritime, a effectué le même type de couplage afin de permettre une remontée de fiches des appelants institutionnels. Ce qui permet à chaque agent de la mairie de dire « Bonjour, monsieur le préfet » , avant que celui-ci n'ait eu le temps de s'annoncer. Mais, au-delà de ces applications de CTI classiques, le couplage téléphonie-informatique offre des possibilités nouvelles. Comme un meilleur suivi de la téléphonie (traçabilité des appels entrants ou sortants, des appels perdus, etc.), ou encore de l'administration réseaux.

La ville de Saintes, la communauté locale de communes et l'action sociale dépendent d'une équipe informatique unique. Facilitée par cette mutualisation, la VoIP a permis, entre autres, « de réaliser un annuaire unique et homogène en lieu et place de plusieurs versions locales. Cette migration nous a également obligés à gérer la QoS et, par la suite, à surveiller les flux et à redéfinir les VLAN », se félicite Pierre-Marc Lis, le directeur informatique de ces trois structures publiques.

Quant à la Cité des entreprises, elle n'effectue pas de surveillance globale du réseau. Selon Olivier Pluchard, « le LAN à 100 Mbit/s gère sans souci les trafics voix et données. Chaque entreprise hébergée dispose de son propre VLAN, chacun des flux voix et l'administration passent par un VLAN dédié. Nous n'avons eu aucune perte d'appels ou de problème de saturation en une année d'exploitation. Le trafic n'est donc pas supervisé. Je pense, en revanche, que les liaisons intersites constituent le vrai goulet d'étranglement. Notre service d'administration étant déporté dans un autre bâtiment relié au LAN par une liaison à 10 Mbit/s, ce dernier lien est, lui, néanmoins supervisé. »

La mise en oeuvre : des développements légers

« Nous avons choisi un NBX V5000 de 3Com et une passerelle basée sur la norme Tapi [Telephony Application Programming Interface, NDLR] pour relier nos applications sous AlphaVMS avec le parc des 90 téléphones numériques » , indique Philippe Mengual, responsable informatique et réseaux de la CSGV (Coopérative du syndicat général des vignerons) d'Epernay. Le passage à la VoIP s'imposait naturellement « et la solution de 3Com a été retenue aux dépens de celle de Cisco parce qu'elle ne fonctionnait pas exclusivement avec Windows » , ajoute Philippe Mengual.

Le service des urgences d'Arras a également mis en oeuvre sa remontée de fiches sur Tapi pour afficher l'adresse de l'appelant. Dans le cas où le numéro n'est pas identifié dans les bases de données internes, la recherche d'adresses bascule sur l'annuaire de France Télécom. Certains projets de CTI exploitent parfois des outils plus complets édités par des spécialistes comme Genesys ou des développements spécifiques complémentaires. Des développements en général assez courts, « une fois le PABX installé, il n'a fallu que quelques jours à notre webmestre pour adapter le programme à nos bases de données » , se souvient Florian Mantione.

Il y a deux à trois ans, son cabinet a choisi les PABX IP Office 403 d'Avaya pour renouveler sa téléphonie. Le prestataire Alliance Telecom s'est chargé de l'intégration des téléphones IP et de l'installation de la passerelle avec l'IP Office. « Les deux applications, celle de gestion des appels des candidats et celle de nos clients ou prospects, ont été développées en PHP et sur la base de données MySQL. Ces deux applications sont presque équivalentes, à la différence que dans la première, les candidats saisissent eux-mêmes leur numéro de téléphone, une tâche qui, dans la seconde, incombe au consultant pour les clients », détaille Florian Mantione. Lors de la mise en production, un poste, et donc un consultant, a été attribué à chaque CV ou client. « Chaque appel entrant est automatiquement dirigé sur le poste du consultant qui le gère et entraîne l'affichage de l'historique des échanges », ajoute Florian Mantione.

Les gains : un accueil personnalisé

Les bénéfices du CTI sont souvent difficilement quantifiables financièrement, mais sont indéniables en termes d'image ou de productivité. « Cette application nous fait gagner du temps et l'amélioration de l'image est évidente », se félicite Florian Mantione. « Nos clients, comme les candidats, sont toujours agréablement surpris qu'on les appelle directement par leur nom et que le consultant entame la discussion à partir des dernières informations échangées », ajoute-t-il. Dans ce cabinet de recrutement, la fiche du candidat ou celle du client remonte à l'écran au bout d'une sonnerie. Fort de ce succès, le cabinet a d'ailleurs rendu accessibles ces deux applications à un deuxième site à travers une liaison Wi-Fi.

Le CTI permet aussi de réduire les temps d'attente téléphonique. Philippe Mengual, de la CSGV, en témoigne. « Le bip indiquant à l'utilisateur la remontée d'une fiche sur son écran est quasi simultané avec la première sonnerie. » Les gains se déclinent sur d'autres tonalités. « Le passage à la ToIP permet à de petits sites, écoles primaires, piscines, etc., de bénéficier de la messagerie, de l'intranet, ou de services de boîtes vocales. Ce qui était exclu auparavant, car les investissements auraient été trop lourds, compte tenu du petit nombre d'utilisateurs », ajoute Pierre-Marc Lis, de la mairie de Saintes.

Gains également en termes de temps et de déplacement grâce à la possibilité de configurer à distance un poste dans un bâtiment distant. « L'hôpital d'Arras compte quinze sites, de l'école d'infirmières aux maisons de retraite. Administrer les postes IP à distance représente un gain de temps considérable », explique Philippe Huddlestone, responsable du SI et des télécoms de cet hôpital. « La convergence va aussi nous permettre d'arrêter l'abonnement aux 1500 numéros SDA [sélection directe à l'accès, NDLR] auprès de FT, qui coûtait quand même 90 centimes d'euro par mois et par numéro, et de supprimer physiquement les fax », ajoute-t-il.

Les écueils : des projets difficiles à vendre

Premier risque, le couplage téléphonie-informatique fait potentiellement courir à la voix les mêmes risques qu'à n'importe quelle donnée. Il peut être nécessaire d'améliorer la sécurité. « Pour parer aux risques d'attaques, en particulier celles capables de saturer les ports de communication, nous avons renforcé nos barrières de sécurité avec les équipements de Fortinet », décrit Jamel Bounouara, responsable informatique et téléphonie pour les centres clients de Phone House. Pour assurer une continuité de service, l'hôpital d'Arras a investi dans un deuxième call manager redondant. S'ajoutant à la VoIP, le CTI a aussi parfois comme conséquence d'enlever la casquette « téléphonie » des services généraux pour l'appliquer au service informatique. Ce qui génère une charge de travail supplémentaire pour ce dernier pendant la phase d'installation et pour l'administration ultérieure.

Autre risque, si les temps de développement d'applications de CTI restent modestes, la maintenance peut se révéler délicate en l'absence de standards définissant l'interface téléphonie et informatique. Les possibilités de programmation offertes par Tapi (protocole Microsoft) restent rustiques et imposent Windows tandis que le CSTA [Computer Supported Telecommunication Applications, NDLR] n'est pas disponible sur tous les équipements. Indépendamment des aspects techniques, VoIP et CTI bousculent les habitudes de travail. « Nous mettons les fonctions à disposition au fur et à mesure pour éviter les blocages », atteste Pierre-Marc Lis. Mais le plus difficile reste « à trouver les mots simples pour justifier ces projets, qui, souvent, restent techniques aux yeux des responsables », se souvient-il.

---